Le 18 mai, Cap-Haïtien célébrera la fête du drapeau avec un budget de 400 millions de gourdes, alors que la ville est plongée dans le noir depuis plus de quatre ans. Avec des hôpitaux délabrés et des milliers de familles privées d’électricité et de sécurité, cette situation soulève des questions sur les priorités de l’État haïtien, analyse le professeur et géographe Jerry St-Fleur.
Le 18 mai approche, et cette année, Cap-Haïtien sera l’hôte des festivités nationales de la fête du drapeau. L’État haïtien y consacre la somme de 400 millions de gourdes. Oui, vous avez bien lu : quatre cents millions pour une journée de défilés, de discours et de décorations patriotiques.
Pendant ce temps, Cap-Haïtien n’a pas d’électricité publique depuis plus de quatre ans. Les rues, les écoles, les foyers et les hôpitaux fonctionnent — ou tentent de fonctionner — dans l’obscurité totale. Des milliers de familles vivent dans une pénombre permanente, sans eau courante ni sécurité, tandis que l’État préfère investir dans des événements symboliques plutôt que dans des besoins essentiels.
L’un des exemples les plus frappants de cette gestion désastreuse des ressources publiques est l’état de l’hôpital universitaire Justinien, le plus grand centre hospitalier du Grand Nord. Selon son directeur, Dr Turenne Calil, le bâtiment des urgences a été endommagé lors du tremblement de terre du 12 janvier 2010. Quinze ans plus tard, il est toujours debout… mais menace de s’effondrer. Les médecins, les infirmiers et les patients y évoluent dans des conditions indignes : manque d’équipements, surpopulation, bâtiments insalubres.
Et pourtant, c’est cet hôpital qui doit compenser le déclin du centre hospitalier de Mirebalais.
Depuis plusieurs mois, la commune de Mirebalais est sous la coupe de groupes armés. Les routes sont dangereuses, les patients craignent de s’y rendre, et l’hôpital de Mirebalais fonctionne au ralenti. En conséquence, la pression sur les hôpitaux du Nord, en particulier sur Justinien, augmente encore. Mais au lieu d’investir dans sa reconstruction, dans l’achat de matériel, ou même dans l’installation de panneaux solaires pour garantir une alimentation électrique minimale, l’État choisit… de célébrer.
Personne ne remet en question l’importance de la fête du drapeau. C’est une date significative, un moment d’unité et de fierté nationale. Mais comment célébrer le drapeau lorsque les citoyens qu’il représente sont laissés pour compte ? Comment parler de liberté quand des enfants étudient à la lumière d’une bougie ? D’égalité, quand les soins de santé deviennent un luxe ? De fraternité, quand chaque ville doit se débrouiller seule face au chaos ?
400 millions de gourdes représentent autant d’opportunités manquées : réparer un hôpital, électrifier des quartiers, renforcer les écoles… C’est une somme qui pourrait améliorer de manière durable la vie de milliers de familles à Cap-Haïtien.
Paradoxalement, le gouvernement, par l’intermédiaire du ministère de l’Économie et des Finances, se félicite du succès de la mission du président de la BID dans le Nord la semaine dernière. Lors de sa visite, le président de la BID a pu évaluer la gravité de la situation socio-économique, sanitaire et sécuritaire de la région et a accepté la demande du gouvernement haïtien d’accorder des fonds supplémentaires à Haïti.
À Cap-Haïtien, la population n’a pas besoin de fanfares ni de tapis rouges ; la ville a l’habitude d’organiser ces événements quasiment sans financement de l’État. Elle a besoin d’électricité, de soins de santé, d’eau potable, d’écoles et d’un minimum de dignité. Ce 18 mai, le drapeau flottera au-dessus d’une ville oubliée par l’État. Une ville qui brillera pendant un jour, mais qui replongera dans l’obscurité dès le lendemain.
Il est temps d’exiger mieux. Car un pays ne se reconstruit pas avec des slogans et des célébrations, mais avec des actions concrètes, des choix audacieux et une véritable volonté de servir.
Par : Jerry ST-FLEUR, professeur / géographe
Crédit 📸 : Le Relief Inter