À l’occasion des 70 ans du konpa direct, l’heure est à la célébration. Mais derrière les tambours et les hommages, une vérité dérangeante s’impose : le konpa stagne, l’HMI s’effrite, et la relève reste à la porte. Peut-on vraiment parler d’évolution quand la musique tourne en boucle ?
Soixante-dix ans d’existence. Une longévité rare pour un genre musical né d’une vision audacieuse, celle du saxophoniste et guitariste haïtien Nemours Jean-Baptiste. Pourtant, si le konpa a su traverser les décennies, il semble aujourd’hui englué dans une inertie inquiétante. Depuis dix ans, l’innovation est au point mort, les albums manquent d’ambition, les scènes se ressemblent, et les artistes recyclent plus qu’ils ne créent.
L’industrie musicale haïtienne (HMI), au lieu d’unir les forces créatrices, est devenue un champ de divisions : égos surdimensionnés, querelles ridicules, « beefs » souvent stériles entre artistes ou groupes, boycotts silencieux et règlements de comptes sur les réseaux sociaux. Au lieu de bâtir un mouvement solide, on se replie sur soi. Le constat est amer : le konpa brille, mais ne rayonne plus.
Et pendant que les « grands noms » se disputent le micro, une génération entière reste bloquée aux coulisses. Les jeunes chanteurs, beatmakers, arrangeurs, danseurs… tous ces talents émergents sont souvent exclus d’un système fermé, saturé, qui valorise la notoriété plutôt que le potentiel. Pas de passerelles, pas de mentoring. L’héritage du konpa se transmet mal, voire pas du tout.
Des « timoun 2000 » (génération Z), aux talents incontestables et pleins de fraîcheur, peinent à émerger dans un milieu peu accueillant. Les plateformes de visibilité manquent, les scènes sont monopolisées, les producteurs jouent la carte du « déjà connu ». Résultat : une relève frustrée, qui cherche ailleurs — dans le rap, le RnB, l’afrobeats — l’ouverture que le konpa ne lui offre pas.
Pour que le konpa ait encore un avenir, il ne suffit pas de le célébrer tous les dix ans. Il faut le repenser, le réinventer, l’ouvrir à d’autres genres, à d’autres influences, à d’autres publics. Il faut laisser entrer l’énergie des jeunes, casser les codes, sortir du ronron commercial. Inventé en 1955, le konpa peut redevenir le moteur culturel d’Haïti — mais pas tant qu’il refusera d’avancer avec son temps.
À 70 ans, le konpa n’a pas besoin de nostalgie. Il a besoin de courage.
Crédit 📸 : Haïti Inter