Dans la capitale haïtienne, Port-au-Prince, paralysée par l’insécurité, les travailleuses du sexe naviguent dans un environnement de terreur. Elles redéfinissent leur activité pour survivre dans un monde où chaque rue peut devenir un champ de bataille. Une immersion poignante de notre collaborateur David Louis-Jean dans une vie nocturne bouleversée par la violence et l’adversité.
L’insécurité qui ravage Port-au-Prince plonge tous les secteurs dans le chaos. À mesure que les gangs étendent leur territoire, les institutions reculent. Le Palais National est déserté, les écoles ferment, les marchés déplacent leurs points de vente, et les hôpitaux réduisent leurs services. La vie sociale se décompose, redessinée au rythme des rafales et des affrontements.
Avant que l’insécurité ne paralyse la capitale haïtienne, elle s’illuminait d’une vie nocturne intense. Les travailleuses du sexe faisaient partie intégrante de ce paysage. Grand Rue, Champ de Mars, Oswald Durand, Lalue… Autant de quartiers où elles proposaient leurs services en pleine rue, attirant une clientèle variée et régulière.
Avec la mainmise des gangs sur ces zones, leur activité s’est effondrée. Les rues sont désertées, les clients absents, et les risques de représailles ou de violences sont omniprésents. Travailler comme avant est devenu impensable. Ce changement brutal les a poussées à revoir entièrement leur mode de fonctionnement.

Face à la peur, les travailleuses du sexe s’organisent autrement. Certaines optent pour des rendez-vous privés, d’autres intègrent les bases des groupes armés pour y offrir leurs services, comme c’est le cas de Judith (nom d’emprunt).
Chez les malfrats, les « jamè dodo » peuvent rester plusieurs jours, voire des semaines. Ce système rotatif crée une sorte de migration inter-bases. « Dès qu’un groupe est lassé, un autre prend le relais », a révélé la jeune femme ayant souhaité garder l’anonymat.
Les revenus des prostituées économiques de la capitale haïtienne explosent – parfois l’équivalent de plusieurs mois de travail en un seul jour –, mais le prix à payer est élevé, nous a confié une autre source anonyme rencontrée lors de notre enquête.

Ce nouveau modèle les expose à de nombreux dangers : violences physiques, sexuelles, soumission aux règles des chefs de gangs. Certaines deviennent des « propriétés » des caïds, perdant ainsi tout contrôle sur leur liberté de choix. Le plaisir tarifé se transforme alors en outil de domination et de soumission, où l’argent ne suffit pas à masquer la brutalité du quotidien.
La réalité des travailleuses du sexe dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince illustre une vérité brutale : en Haïti, l’insécurité n’est pas qu’un enjeu de sécurité publique. Elle transforme profondément les dynamiques sociales, économiques et humaines.
Même les activités les plus marginalisées se voient contraintes d’adopter des stratégies de survie dans un monde où les repères traditionnels n’existent plus. Le commerce du sexe, jadis organisé, est désormais un miroir de la décomposition d’un État abandonné aux armes.
Par : David Louis-Jean