Même structure, mêmes artistes, mêmes prestations : les festivals haïtiens peinent à se renouveler. Alors que d’autres pays offrent des expériences culturelles en constante évolution, Haïti semble figée dans une routine qui lasse un public de plus en plus exigeant.
Chaque année, les festivals haïtiens s’enchaînent… et se ressemblent. Le décor change à peine, l’énergie stagne, la programmation se recycle. Les groupes montent sur scène pour rejouer, une fois de plus, les mêmes titres dans le même ordre, avec les mêmes chorégraphies. Les mêmes artistes avec les mêmes prestations. Peu ou pas d’innovations, encore moins de créativité scénique.
Le récent Sumfest, présenté comme un événement de référence, a illustré cette stagnation. Des groupes ont proposé une prestation identique à celle des éditions précédentes, déroulant une série de méringues carnavalesques dans une formule de « nou refè l ankò ».

Sans effet de surprise, T-Vice, la formation musicale des frères Martino, monte sur scène et déroule le même set que l’an dernier — même structure, même format, même énergie usée. On connaît le refrain avant qu’il commence : « retire mayo, retire chemiz, retire soutyen, retire kilòt, met 2 men anlè, fo tete anlè […] vire vire vire, men elikoptè a ».
Même constat pour Kreyòl-La, la bande à T-Joe : rien de nouveau, aucun effort de scénographie ou d’originalité. Juste un copier-coller des éditions précédentes. D’autres groupes, eux aussi, font du surplace. À croire qu’ils jouent pour remplir un contrat, pas pour marquer les esprits. Résultat : des festivaliers qui consomment l’événement sans réellement le vivre.
Le public sature, les artistes stagnent
Cette répétition finit par créer un désengagement progressif. Les festivaliers viennent, dansent, filment quelques instants pour les réseaux sociaux, puis s’en vont. Ils repartent avec des souvenirs tièdes, pas avec des émotions fortes. C’est du « bouillon réchauffé ». Ce qui devrait être un moment de communion artistique devient une simple case à cocher dans le calendrier culturel.

Les artistes, pour leur part, semblent enfermés dans une mécanique. Peu font l’effort de repenser leurs prestations, d’intégrer des visuels, d’adapter leurs morceaux au format festival, ou d’explorer de nouvelles formes de mise en scène. Cette inertie artistique empêche l’émergence de moments forts.
Ailleurs, on ose la nouveauté
Pendant ce temps, d’autres pays transforment leurs festivals en véritables expériences multisensorielles. Au Canada, au Sénégal, en France, aux États-Unis, les artistes ne se contentent pas de jouer leurs hits : ils les réinventent. Scénographie soignée, collaborations inédites, interventions parlées, ambiance immersive… Les festivals deviennent des laboratoires de créativité, et non un simple alignement de groupes sur une scène.
À Nuits d’Afrique, à Afro Nation ou encore à We Love Green, chaque édition offre une programmation dynamique, des performances repensées, et surtout, une volonté de surprendre. Le public en ressort nourri, ému, marqué. Et c’est exactement ce qui manque aujourd’hui aux événements haïtiens.

Une industrie culturelle à réveiller
Haïti a pourtant les ressources artistiques, le talent et l’énergie nécessaires. Ce qui manque, c’est une vision claire de ce que peut (et doit) être un festival en 2025. Il faut repenser les formats, introduire des éléments de théâtre, de danse, de vidéo, miser sur l’innovation scénique, inviter de jeunes artistes, créer de la surprise, du dialogue, de la diversité.
Les organisateurs, les artistes, les techniciens, les sponsors, les médias ont une responsabilité : celle de faire des festivals haïtiens des événements vivants, créatifs, stimulants. Il faut sortir du confort, oser l’inconnu, écouter les nouvelles générations, bousculer les habitudes. Le public haïtien mérite mieux que du « bouillon réchauffé ». Il mérite des expériences riches, vibrantes, mémorables.
Le changement ne dépend pas que des moyens. Il dépend d’abord d’une vision. Osons rêver plus grand. Osons réinventer. Car un festival, ce n’est pas juste un concert. C’est un spectacle, une expérience, une fête de l’imaginaire. Si on ne comprend pas ça, on restera figés pendant que le reste du monde avance.
Crédit 📸 : Ticket Magazine